Iseult Fayolle

POÉTIQUE DE L’INSTANT

Comment garder et exprimer la substance de l’instant dans la durée ?

Ce qui se passe dans l’instant « du faire » nourrit mon processus de création. Et ces instants sont eux-mêmes nourris, influencés et habités par des souvenirs conscients et inconscients liés à ma propre histoire et liés à l’histoire collective.
Un instant en engendre un autre et la trace de l’instant passé peut être réinventée dans l’instant futur. C’est ainsi que viennent se mêler, pendant le processus de création, des éléments appartenant à des temporalités différentes. Je veux capter la substance de l’instant ou ce qu’il en reste et construire avec.

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Je crée des objets afin de les faire vivre ensemble dans une installation qui témoigne d’un instant fugace dans un équilibre fragile. Puisque l’instant ne dure pas. Ces objets sont la trace tangible d’instants vécus.

« Les objets résistent à la fuite du temps », Lascaux, Georges Bataille.

Et tout ce qui se passe hors champ au moment du faire nourrit ce qui est à venir. C’est comme ça que je m’inspire d’éléments de construction pendant le processus de moulage ou bien que je garde les déchets de terre après lissage d’une pièce. Et je m’en sers, je les réinvente pour construire une autre pièce.

« À ce moment-là, mon objectif était d’apprendre à mouler un artichaut et l’unique but était de réussir le moule, peu importe l’objet …

Une fois que toutes les parties du moule eurent été réalisées, je libérais mon artichaut de ce lourd manteau de plâtre en commençant par retirer la partie du haut, le chapeau, qui recouvrait juste la pointe des feuilles.

Et j’ai regardé cette étrange et hasardeuse composition à mon sens, d’une élégance particulière et d’une spontanéité précieuse. C’est comme si soudainement il y avait eu un arrêt sur image, le temps s’était arrêté sur cet instant, sur cette découverte inattendue qui allait bientôt devenir ma source d’inspiration de prédilection. J’allais à partir de cet instant me nourrir et imaginer des pièces à partir de ce qui gravite autour de l’objet en train de se faire, détournant l’objet lui-même. »

extrait carnet de bord, le 30 mars 2017

Dans « cette richesse d’être imaginée », il n’y a pas de hiérarchie entre les éléments. Une miette de terre délibérément sortie du chaos peut devenir un élément majeur d’une œuvre.

Par exemple, la cale qui vient retenir une pièce pour l’enpêcher de rouler a toute sa place, d’une part pour stabiliser l’assemblage des pièces, d’autre part en participant à l’équilibre formel et poétique de l’installation.

En restant ouverte au tout venant du hasard poétique qui s’offre à moi, je sélectionne, je transforme la matière ou la modifie ou la garde telle quelle. Pendant le temps du séchage jusqu’à la cuisson, de nouvelles expérimentations parallèles peuvent encore influencer et faire évoluer des pièces quasi finies. Même si je m’appuie sur des croquis pour déterminer de potentielles installations, tout se joue ensuite dans l’instant lorsque j’articule des objets pour trouver l’équilibre formel qui me semble être le plus juste. J’entends par « juste » la volonté de créer un espace harmonieux et poétique en accord avec mes émotions…

Dans la culture asiatique, au Japon notamment, le bol est un objet parfois sacralisé, symbole de sérénité. Autrefois il faisait partie des cinq objets que le moine boudhiste avait le droit de posséder.

Parce qu’il s’associe à un besoin vital, l’instant du thé invitait les moines à la méditation. C’est un moment où l’on vit pleinement l’instant, un moment de pleine conscience de soi-même et du monde.

Je souhaite évoquer, en tout cas interroger sur le rapport à l’instant précieux qui est suggéré par le bol et, à cette occasion, susciter une rencontre entre l’artisanat et l’art.

Techniques

Toutes les techniques céramiques sont à l’honneur pendant le processus de création puisque je puise mon inspiration en grande partie dans leur mise en œuvre.

Je ressens le besoin de décortiquer les étapes de travail que requiert chacune d’entre elles afin d’approfondir leur potentiel créatif.